L’allée centrale de la somptueuse cathédrale gothique de Toul n’a pas désempli. Toute l’après-midi de ce dimanche, plusieurs milliers sont en effet venues se recueillir devant la dépouille de Marcel Bigeard, le soldat le plus décoré de France, décédé ce vendredi 18 juin, à 94 ans. Le cercueil était recouvert d’un drapeau tricolore. Dessus, son képi de général et, posée sur un coussin bleu, la Légion d’honneur.
Parti du domicile du héros de la bataille de Dien Bien Phu, le cortège funéraire a traversé Toul, a emprunté une partie de l’avenue qui porte son nom et est arrivé à la cathédrale à midi, accueilli par Nicole Feidt, le premier magistrat de la ville, mais aussi par un piquet d’honneur du 516e Régiment du train de Toul et une délégation de porte-drapeaux du Toulois. A sa tête, Gaby, son épouse, Marie-France, sa fille, mais aussi Nadine Morano, secrétaire d’Etat chargée de la Famille et de la solidarité, Hubert Espiasse, le sous-préfet de Toul, et le colonel Arnaud Weixler qui commande le 516e.
« J’ai fait 29 mois d’Algérie, à la frontière algéro-tunisienne, et j’ai vu le général à deux reprises là-bas. Ensuite, je suis allé le voir chez lui », explique Daniel, 72 ans, qui, sur le rebord de sa fenêtre de son domicile, situé sur la place de la cathédrale, a placé un drapeau français en berne et une affiche du général. « C’était un gars bien, qui aimait ses hommes ». « Je crois que c’est le seul, avec Napoléon, à avoir été deuxième classe puis général », surenchérit Joël.
Guy Têtu, 79 ans, 5 ans d’Indochine dont un comme prisonnier, est monté de Besançon. Dans les colonnes de notre journal, samedi, il avait indiqué que s’il n’y avait plus de place à l’hôtel, il dormirait dans sa voiture. Jean-Pierre Ulrich, 70 ans, ancien capitaine, qui a fait 4 ans d’Algérie, a déniché ses coordonnées et l’a accueilli. Solidarité militaire…
« J’ai rencontré le général une fois, à Toul, et je correspondais avec lui depuis quatre ans », explique Guy, médailles sur le poitrail. « Je suis venu pour rendre hommage à un homme et à un soldat exceptionnels ».
Toulois et autres pourront encore se recueillir devant le cercueil aujourd’hui, de 8 heures à 12 heures.
Les obsèques auront lieu cet après-midi à 15 heures, en présence de Valéry Giscard d’Estaing, ancien Président de la République et dont Marcel Bigeard fut secrétaire d’Etat à la Défense, et Hervé Morin, ministre de la Défense.
Le corps sera ensuite transféré à Paris pour une cérémonie dans la cour des Invalides.
Eric NICOLAS
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L'entourage du général Marcel Bigeard, a indiqué samedi que ses cendres seraient dispersées au-dessus de Dien Bien Phu, au Vietnam, conformément à sa volonté. Une chapelle ardente est dressée depuis ce dimanche à midi à la cathédrale de Toul. Les Toulois, les Lorrains, des admirateurs de toute la France convergent vers Toul pour saluer la dépouille mortelle du vieux soldat, disparu à l'âge de 94 ans. Les obsèques seront célébrées demain lundi à 15 h en présence de nombreuses personnalités nationales dont l'ancien président de la république Valéry Giscard d'Estaing. Mardi, un hommage national sera rendu au général Bigeard aux Invalides à Paris.
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Fait prisonnier à l'issue de la bataille qui avait mis fin à la présence française en Indochine en mai 1954, le militaire souhaitait ainsi «rejoindre ses camarades tombés au combat».
La bataille qui s'est livrée dans cette petite petite plaine au nord-est du Tonkin, à 20 km de la frontière du Laos et 80 km de la frontière chinoise, a été la plus terrible de la guerre d'Indochine. Environ 4 000 soldats français et près de 10 000 combattants du Viêt-minh - une organisation politique et paramilitaire vietnamienne, créée en 1941 par le Parti communiste indochinois - y ont trouvé la mort. Depuis la défaite française du 7 mai 1954, Dien Bien Phu, est ainsi devenu un synonyme tragique de désastre militaire.
Ses obsèques lundi à Toul
Par ailleurs, l'entourage du général Bigeard a indiqué que ses obsèques auraient lieu lundi à 15 heures en la cathédrale de Toul (Meurthe-et-Moselle), sa ville natale.
Pendant près de trente ans, il a galvanisé les troupes sur tous les théâtres d’opérations : Europe occidentale, Extrême-Orient, Afrique du Nord. Quand il est entré en politique - il fut Secrétaire d’Etat à la défense de Giscard d’Estaing en 1975-1976, puis député de Toul de 1978 à1988- il a imposé son pragmatisme et son franc-parler.
Bénéficiant d’une incroyable popularité, il a fait salle comble des centaines de fois, aux quatre coins de l’hexagone. Enfin, et jusqu’à ces derniers jours, il recevait un courrier comme seules les stars en reçoivent. Un paquet volumineux, chaque matin.Adulé par des millions de personnes pour sa gouaille et son humour, mais aussi pour son engagement à défendre des valeurs qui ont balisé son chemin durant toute sa vie, il était craint par une partie du monde politique. Oui, Bigeard était un personnage hors norme !
Notoriété
Donner son nom à une rue, de son vivant, est un événement rarissime. Le général Bigeard n’était pas pressé. Ses admirateurs en ont décidé autrement. Aujourd’hui, des dizaines d’avenues ou de places portent le nom du héros de la bataille de Dien-Bien-Phu, de ce militaire devenu très tôt un mythe.
A Toul, Briey, Amnéville, et dans de nombreuses villes et villages de Lorraine et Franche-Comté, comme un peu partout dans l’hexagone, des plaques de rues portent son nom.
Hier matin, en ce jour historique, celui qui rêvait de «mourir debout» a fait son dernier salut à la France. L’homme est tombé, pas la statue. Car le militaire le plus médaillé et le plus connu de l’hexagone bénéficie d’une belle cote d’amour, dans le cœur de beaucoup.
Né à Toul le 14 février 1916, il débute comme employé de banque à la Société Générale, avant d’effectuer son service militaire sur la Ligne Maginot (1936-1937). Un bref retour à la vie civile, et il rejoint les Corps-Francs dès le début de la Seconde Guerre Mondiale. Très vite, le soldat fait preuve de bravoure et affiche ses qualités au commandement.
Bleu-blanc-rouge
Au milieu des années cinquante, Bigeard entre dans la légende. Lorsque tout le pays découvre le héros de Dien-Bien-Phu. Une bataille devenue symbole de la résistance et du courage, là-bas, à l’autre bout du monde, loin de cette France qui vivait alors dans une certaine insouciance.
En quelques années, le petit adjudant de la Ligne Maginot est promu lieutenant-colonel. En ce printemps 1954, il devient chef de guerre et héros national. Une figure emblématique. La notoriété ne le quittera plus.
Adulé par ses troupes, officier respecté, le futur homme politique et bientôt auteur de best-sellers, s’installe durablement dans le cœur des militaires et civils. Sa passion pour son pays, son enthousiasme et sa fierté pour les valeurs bleu-blanc-rouge, nourrissent le lien qui va désormais l’unir au peuple de France.
Un cordon d’autant plus solide que Marcel Bigeard a une forte propension à s’attacher la sympathie ! Jamais avant lui, un militaire haut gradé ne s’était permis de manier l’humour et d’afficher une telle liberté de parole ! Sur les plateaux télé ou lors de populaires émissions de radio, Bigeard cultivait sans cesse ce qui était devenu chez lui une maxime quotidienne : « faire les choses sérieusement, sans se prendre au sérieux ». Ce qui ne lui interdisait point de porter un regard critique, et parfois désabusé, sur ce pays qu’il a tant aimé.
Avec Giscard
Sans complaisance sur le monde politique, Bigeard a toujours affiché sa reconnaissance et un profond respect pour celui qui lui a proposé d’intégrer le gouvernement, il y a près de trente-cinq ans.
Janvier 1975 : Giscard d’Estaing le nomme Secrétaire d’Etat à la défense. «Pour redonner le moral aux troupes». Août 1976 : Bigeard démissionne. «Boulot accompli».
C’est toujours Valéry Giscard d’Estaing qui lui suggère de partir à l’assaut de la cinquième circonscription de Meurthe-et-Moselle, en 1978.
Entre Bigeard et Giscard, les liens ne se sont jamais effilochés. Le 17 juin 1999, l’ancien Président de la République était aux côtés du vieux para, pour l’inauguration de l’avenue général Bigeard, la plus longue de Toul (2 km). Ce jour-là, il lui rend un bel hommage, comme il l’avait fait vingt-cinq ans plus tôt, en septembre 1974, dans la cour des Invalides à Paris, en lui remettant les insignes de Grand-croix de la légion d’honneur.
«Ce jour-là, j’ai eu l’impression de serrer dans mes bras toute l’armée française» confiait Giscard aux Toulois, lors du baptême de l’avenue «du dernier grand soldat de l’Histoire de France».
Récemment, sur le bureau de sa résidence touloise, il y avait une feuille de papier et ce mot griffonné de sa main : «Quand on ne vit pas comme l’on pense, on finit par penser comme l’on vit». La phrase résume bien le parcours exceptionnel de l’homme, du militaire, du politique et de l’auteur à succès. Celui qui répétait sans cesse : «L’essentiel est de durer. Et d’avoir vingt ans demain !»
Michel BRUNNER |